Une vérité couramment répétée, mais toujours contestée, est que l’histoire est racontée du point de vue des vainqueurs. Nous nous souvenons du passé tel qu’il a été interprété, construit et partagé. Or, que ce passerait-il si cette histoire était imparfaite? Quand les événements du passé sont lus dans des livres, visualisés dans des films ou délaissés dans des archives poussiéreuses, les voix des vaincus sont souvent oubliées. Ainsi, afin de révéler les perspectives et les expériences variées de ceux qui ont été réduits au silence pendant bien trop longtemps, Heather Morrison a choisi de créer le musée canadien de l’histoire des femmes (MCHF). Ce projet est non seulement attendu avec grande impatience, mais aussi un symbole d’espoir, car il démontre que le progrès et le changement sont toujours à notre porté.
La création du MCHF
Il y a quelques années, Heather Morrison travaillait comme conseillère au Sexual Assault Centre de Kingston. Au fil de la décennie qu’elle a passé dans cet établissement, elle a pu soutenir de nombreuses adolescentes qui avaient subis et survécus de la violence sexuelle. Malgré ses efforts continus, elle n’a pas pu trouver un endroit qui pourrait démontrer à ces jeunes femmes qu’elles n’étaient pas seules et que leur douleur n’était pas accidentelle, mais plutôt l’illustration d’un schéma historique bien plus large. À ce moment, elle a remarqué que la souffrance des femmes, tout comme leurs contributions, avaient été négligées par l’histoire, soient ignorées ou délaissées pour qu’elles s’effacent au fil du temps. À la suite de cette triste pensée, elle a cherché à établir un endroit où la vie de chaque femme, son histoire, était considérée par le prisme de l’analyse historique, plutôt que marginalisée. Avec cette vision, Heather Morrison et ses collègues, Mary Clancy et Arlene Hache, ainsi que plusieurs collaborateurs et collaboratrices ont voué à bâtir le tout premier musée canadien de l’histoire des femmes.
Vous vous demandez peut-être, comme moi, « Attendez une seconde. N’avons-nous pas déjà un musée concentré sur les femmes? Cela doit certainement exister au Canada. » Malheureusement, cette idée serait fausse, parce que bien que plus de soixante pays aient un tel musée, le Canada ne figure pas parmi eux. Il y a un Women’s Art Museum à Edmonton, mais il n’est pas centré sur les expériences historiques des femmes, contrairement à ceux dans les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Afrique du Sud. En ce moment, le Canada inclut parfois les femmes dans l’histoire, mais souvent dans des expositions temporaires comme celle créée par le musée du Manitoba en 2017, intitulée “Nice Women Don’t Want the Vote” (les bonnes femmes ne veulent pas voter). Cette exposition cherchait à commémorer le centième anniversaire du droit de vote des femmes dans la province (Canadian Museum of History, 2017). Toutefois, malgré leur valeur éducative, ces expositions transitoires et éphémères ne peuvent représenter ni l’ampleur des expériences variées des femmes, ni leurs contributions à l’histoire. C’est précisément ce manque que le MCHF cherche à combler en soulignant que les femmes étaient et demeurent des participantes actives dans l’histoire et non uniquement des personnages secondaires.
Une mission continue: transformer l’enseignement de l’histoire
Quand il est question de l’éducation, le MCHF a trois buts principaux : éduquer, décoloniser et démocratiser l’histoire. Grâce à sa maîtrise en éducation et ses études de doctorat en pédagogie publique, Heather Morrison perçoit l’histoire de façon innovante. Elle voit « l’histoire comme un document vivant, » plutôt que figé par le temps (Heather Morrison, 2024). Cette approche transforme l’histoire en un domaine qui peut être continuellement réexaminé afin de permettre aux historiens et aux éducateurs de diversifier les points de vue qu’ils examinent. Cette perspective permet aussi aux musées de contribuer au large éventail d’efforts éducatifs dans la pédagogie publique. Les musées tels que le MCHF sont donc des sites d’apprentissage importants où les adultes et les enfants peuvent élargir leurs connaissances historiques, mais aussi combler toute lacune. Ainsi, le MCHF démontre comment la pédagogie publique peut mettre en avant les voix et les expériences des femmes dans l’histoire canadienne, plutôt de les reléguer aux marges de celle-ci.
Décoloniser et déconstruire l’histoire
De surcroit, en comblant le manque d’inclusivité de genre dans les récits historiques, le MCHF peut décoloniser et soutenir les efforts de réconciliation menés par les peuples autochtones. L’histoire canadienne est complexe; à la fois marquée par des avancées considérables dans les droits des femmes, que ce soit dans l’accès au vote ou aux soins reproductifs, et aussi par le colonialisme (Hele, 2023).
Quand les colons français et anglais ce sont multipliés, ils ont mal réagi face aux peuples autochtones qui habitaient déjà sur ces territoires depuis les temps immémoriaux (Hele, 2023). Que ce soit l’expulsion forcée, les écoles résidentielles ou l’assimilation, les peuples autochtones ont subi des attaques incessantes contre leurs cultures, leurs traditions et leurs langues (Hele, 2023). Aujourd’hui, les musées tels que le MCHF représentent une opportunité pour contrer les conséquences négatives de ce colonialisme dans le secteur du patrimoine culturel. Le MCHF peut contribuer à la réalisation d’un avenir plus inclusif et d’une histoire plus complète en mettant de l’avant les coutumes, les histoires et les efforts de réconciliation des communautés autochtones. Cet effort commence en augmentant la participation des autochtones dans les prises de décision, que ce soit au gouvernement ou ailleurs, ainsi qu’en travaillant avec les communautés autochtones locales afin de préserver leurs objets sacrés (Shoenberger, 2023). Autrement dit, le MCHF vise à décoloniser l’histoire et à créer un forum de collaboration qui partagera les expériences des femmes autochtones avant la confédération canadienne et tentera de remédier les conséquences du colonialisme.
La quête pour la démocratie
Les objectifs pédagogiques du MCHF incluent aussi la décolonisation de l’histoire, témoignant ainsi de son projet démocratique plus large. Le Canada est une démocratie libérale dotée d’une Charte des droits et libertés, mais ses omissions historiques endommagent ce dessein démocratique. Le MCHF cherche donc à contrer l’exclusion des voix des femmes et des autochtones dans l’histoire canadienne. Pour ce faire, le MCHF vise à rendre la discussion sur la sécurité des femmes plus inclusive, mais aussi à mobiliser le gouvernement et la société afin d’augmenter le niveau de protection auquel elles ont accès. L’action de démocratiser l’histoire requiert ainsi la reconnaissance que la démocratie est fondée sur l’égalité et préconise l’utilisation des musées comme outils vers le changement, car ils peuvent amplifier la voix de tous, quel que soit leur genre, leur race ou leur statut social.
Finalement, le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées indique que les sœurs, les femmes, les mères et les filles autochtones font face à des taux de violence hallucinants. Au Canada, comme aux États-Unis, les femmes autochtones sont plus à risque d’être victimes de violence (Native Hope, 2024). Au Canada, à peu près 16% des femmes disparues sont autochtones malgré le fait que les Autochtones ne correspondent qu’à 4.3% de la population totale (Assembly of First Nations, 2024).
Ainsi, étant donné que les femmes, y compris celles qui sont autochtones, continuent de subir de la violence fondée sur leur sexe, il est primordial que l’histoire élargisse son champ d’analyse. Voilà précisément le rôle que le MCHF cherche à exercer en reconnaissant et en tâchant de contrer les difficultés et les inégalités persistantes que les femmes rencontrent. À l’aide du MCHF, le Canada peut suivre l’exemple des pays européens et établir un musée dans lequel les voix des femmes sont amplifiées et où les vérités historiques sont minutieusement examinées, plutôt que rejetées. Après tout, pourquoi l’histoire devrait-elle uniquement se concentrer sur l’histoire prévisible des gagnants, plutôt que le récit inspirant de ceux qui parviennent à surmonter l’adversité?
Pour en savoir plus sur le Musée canadien de l’histoire des femmes, consultez leur site Web officiel et suivez-les sur leur page Facebook.
Écrit par : Thanina Maouche
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Bibliography for In-Text Citations
Canadian Museum of History. (2017). “Nice Women Don’t Want the Vote.”
Heler, Karl. (2023). The Canadian Encyclopedia. “Colonialism in Canada.”
Native Hope. (2024). “Missing and Murdered Indigenous Women (MMIW).”
Shoenberger, Elisa. (2023). MuseumNext. “What Does it Mean to Decolonize a Museum.”
Images
Canadian Museum of Women’s History. (2022). CMHW Founding Board.
Sexual Assault Centre Kingston. (2024). Facebook page.
Wikipedia. (2024). “Museum van de Vrouw, Echt.”
Wikipedia. (2024). “Bonn Women’s Museum.”
Be the Truth and Reconciliation you Want to See in Canada. (2024). Facebook page for CMHW

